Fleurs, insectes et vanités au Rijksmuseum

Le bouquet de fleur : vanité ou anti-vanité ?

       Le Rijksmuseum possède une très grande collection de peintures représentant des bouquets de fleurs. Il s’agira à travers deux tableaux de comprendre en quoi peut-on voir dans un bouquet de fleurs une vanité. Nous étudierons les différentes symboliques des variétés de fleurs puis les celles des insectes ou petits animaux présents au près de ces bouquets.

       En tant que sources iconographiques,  Memory of the Netherlands fut une ressource utile, en écrivant les deux mots clés côte à côte « bloemer stilleven » (fleurs nature morte). Cette base de recherche est très utile, même si l’aspect esthétique parait ancien son moteur de recherche est efficace.  Il est possible d’écrire des mots clés en anglais ou bien en néerlandais. L’avantage lorsque nous sommes sur une page concernant un tableau, une photographie, etc… c’est que figure le cartel complet de l’oeuvre, parfois même ses anciens propriétaires. S’y trouvent les dates de vie de l’artiste, son nom complet, le ou les dates de l’oeuvre, ses dimensions, sa technique, son lieu de conservation et sa source. Ceci atteste du sérieux de ce site.

       Egalement pour ce qui est des ressources, un fichier pdf de la médiathèque de Tresses, réalisé par Isabelle Beccia, responsable du service culturel du musée des beaux-arts de Bordeaux, en 2011, a été utile. Cette étude est vraiment très complète et approfondie, elle traite de l’iconographie des vanités, il y a un glossaire de tous les éléments qui peuvent être présents dans une vanité et de leurs symboliques, comme des objets, des fruits, des végétaux, des animaux. Tout ceci présenté de manière très claire, lisible et plutôt agréable, regroupé par thème et complété par des citations issues du livre d’Olivier Le Bihan, La peinture hollandaise du XVIIème siècle au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux (1990), ou autres ouvrages figurant dans une bibliographie à la fin de l’étude. Sont même cités des passages bibliques lorsque c’est nécessaire pour justifier l’interprétation d’un élément.

Capture d’écran du pdf de la médiathèque de Tresses

***

        Comme nous l’avons déjà évoqué , la nature morte, et plus précisément la représentation de fleur, est très chère aux peintres du Siècle d’Or hollandais. Bon nombres d’artistes se spécialisent en tant que « peintres de nature morte ». Pour l’artiste, le bouquet de fleur permet d’exprimer son talent artistique, sa rigueur du détail et le travail du modelé, ainsi que de la lumière. Ils aiment aussi essayer de représenter des fleurs en pleine vie voire même le moment où elles commencent à fâner.

         Voici deux tableaux de peintres hollandais.

Hans Bollongier, Stilleven met bloemer, 1639, huile sur toile, 67.6 × 53.3 cm, Rijksmuseum, Asterdam

Hans Bollongier, Stilleven met bloemer, 1639, huile sur toile, 67.6 × 53.3 cm, Rijksmuseum, Amsterdam

       Le premier est du peintre Hans Bollongier, Nature morte avec fleurs de 1639. C’est un artiste originaire de Haarlem qui est né en 1600 et mort en 1645.

Balthasar van der Ast, Stilleven mit bloemen, 1630, huile sur toile, 59 × 43 cm, Rijksmuseum, Amsterdam

Balthasar van der Ast, Stilleven mit bloemen, 1630, huile sur toile, 59 × 43 cm, Rijksmuseum, Amsterdam

      Le second porte le même titre et il a été réalisé par Balthasar van der Ast en 1630, il est né à Milddelbourg en 1593//1594 et est mort en 1657 à Delf.

       Les fleurs

      Nous voyons dans ces toiles -et notamment dans la première- des fleurs de tulipes tachetées, en ce qui concerne cette particularité un article a déjà été fait dessus:  La tulipomanie.

      D’après la source présentée précédemment de la médiathèque de Tresses, nous pouvons apercevoir en plus des tulipes des roses, des pivoines, du muguet, et bien d’autres encore, ainsi que des herbes sèches.

      Le plus souvent, les fleurs coupées rappellent les choses passagères de la vie, la volupté, la luxure. Les étapes de floraison de ces fleurs renvoient aux âges de l’homme. La beauté des fleurs est très éphémère : elles ne durent qu’un temps, souvent le temps d’une saison, le printemps et l’été. La beauté des fleurs renvoient à la beauté des femmes, c’est un rappel de ce que les plaisirs de la vie sont passagers. Dans le bouquet de Balthasar van der Ast nous remarquons quelques branches de muguets, une fleur qui ne fleurie qu’au mois de mai et ne dure que quelques semaines. Le bouquet est une image du paradis sur terre, où tous les sens humains sont stimulés.

       La rose est d’autant plus représentative des plaisirs passagers de la vie, qu’elle est le symbole de la déesse de la beauté, de l’amour, de la fécondité Venus/Aphrodite mère de Cupidon/Eros qui pique par des flèches d’amour les êtres, un peu comme la rose qui symbolise l’amour et qui peut ainsi blessée.

      Il est peu évident d’attribuer les bouquets de multiples et belles fleurs au genre des vanités, car ils ne rappellent pas explicitement les dangers des passions de la vie. Cependant les artistes choisissent souvent de représenter ces bouquets avec des fleurs sur le point de faner, ce qui évoque leur fragilité et rappelle qu’elles sont très éphémères. Généralement les représentations des vanités sans caractère religieux  sont plutôt strictes quant à la finitude de la vie. Au contraire les fleurs font parties du cycle de la vie et des saisons: elles naissent, meurent, deviennent poussières, puis repoussent. Par exemple, les herbes sèches font allusion au verset du premier Epître de saint Pierre : « car toute chair est comme l’herbe et toute sa gloire comme fleur d’herbe ; l’herbe se dessèche et sa fleur tombe ; mais la parole du Seigneur demeure pour l’éternité » (1-24,25). A partir de cela nous pouvons élargir notre propos en affirmant que les peintures de vanités ayant un fort caractère religieux ne sont pas si pessimistes, dans le sens où nous aussi, humains, nous sommes voués à cette aspect cyclique et donc éternel, auprès de Dieu. C’est pourquoi nous pouvons dire que les vanités sont comme des avertissements pour se remettre dans le droit chemin avant qu’il ne soit trop tard.

      Les invertébrés 

       Dans ce genre de bouquets de fleurs qu’on pourrait voir comme des vanités, il est très fréquent d’apercevoir de petits insectes, ou bien des coquilles, coquillages, et comme on peut le voir ici, des escargots.

       Tout d’abord, en ce qui concerne l’escargot il a plusieurs significations selon le sujet représenté, mais le plus souvent il est à mettre en lien avec la féminité, comme Marie « peine de grâce ». En effet, la femme est « remplie d’eau », conception liée à la fertilité. C’est pourquoi souvent la Vierge Marie et la déesse Vénus sont associées à un récipient rempli d’eau. Dans le tableau de Bollangier on voit ce petit escargot glissant sur le rebord de la table où est posé le vase de fleurs, mais à son extrémité se trouve un lézard, symbolisant directement la mort. C’est un être qui aime les endroits ombragés et terrestres, ce qui nous fait penser à l’endroit où le corps se trouve lorsqu’il est inhumé. Cependant et paradoxalement encore une fois, se trouve la destinée cyclique du temps, par la présence d’une chenille à coté de cet escargot. Chenille, être éphémère lui aussi, mais qui se transforme en un joli papillon. Est évoquée ici l’idée de la rédemption : s’il on rentre dans le droit chemin et que l’on arrive à se détacher des vanités humaines, le paradis nous est encore ouvert. Les belles fleurs peuvent alors aussi représenter ce paradis céleste. On trouve aussi une libellule dans le tableau de Balthasar van der Ast. En grec, le mot « psyché » signifie à la fois âme et papillon, c’est pourquoi depuis l’Antiquité ce petit animal est considéré comme psychopompe, un être qui se saisit de l’âme lorsque notre corps s’éteint, pour  la guider vers les cieux. On rejoint encore une fois l’idée de l’espérance qu’après la mort il y ait dans la religion chrétienne la résurrection  et une vie éternelle auprès de Dieu. Nous pouvons voir que dans le tableau de Balthasar van der Ast un papillon est présent auprès des fleurs, qui vont bientôt mourir ou plutôt faner.

       Dans ce même tableau se trouve trois coquilles vides de mollusque de la mer. C’est le symbole du sexe féminin, comme tout coquillage (qui sont aussi des attributs de Venus). Symbole du sexe féminin et donc, comme l’escargot,  de la féminité, de la fécondité mais cette fois-ci avec l’idée de la chasteté. De plus ses coquillages sont au nombre de trois et rappelle d’autant plus le moment de l’Annonciation et de l’Incarnation du Christ, et la Sainte Trinité. Ces coquillages sont délaissés sur le rebord de la table, ce qui représente le délaissement de la foi et des Saints Commandements au profit des vanités humaines (gloire, luxure, richesse, faste etc.)

     Pour finir, la représentation des êtres comme la mouche dans ces bouquets fleuries renvoie explicitement à la souillure due au péché et au corps promu à la décomposition. La mouche rappelle la simple condition de l’homme s’il n’obéit pas aux règles sacrées de Dieu, sans promesse de résurrection et de vie éternelle.

      A travers cet article nous avons pu présenter une nouvelle forme de vanité, se trouvant dans  le règne animal et végétal. Mais nous avons pu voir que ces représentations sont paradoxales car elles évoquent à la fois le caractère éphémère de la vie et des passions, ainsi que le caractère cyclique de celle-ci. C’est pourquoi nous pouvons parler d’anti-vanité, car il y a un espoir de rédemption, de renouveau.

Clémentine J.

Laisser un commentaire